1955
Le citharède
(1955-1958)
1
Mon front bleu
Mon front bleu entre les joncs
admire
le plus rare des nénuphars d’eau
Fleur d’argent qui mire
veinée de sang
quand elle pleure
2
Les gouffres
J’ai longtemps marché
dans une ombre
sillonnée de clarté
qui passe
rigide
comme un remous de fraîcheur
J’ai allumé des torches
j’ai brûlé des villes
des morts
des ruines
et la magie de l’écho
suinte de secrets gisements
Source interrompue de lumière
où la terre ne meurt pas
L’espace est vaincu
délirant d’espoir et de sang
3
J’ai brisé
J’ai brisé un rayon de soleil
et voici
le matin retourne à la nuit
La terre
est noyée de marais
L’arbre
ivre de sommeil
il a trop dormi
Je foule un sentier de glaçons
un château sauvage
un bois chantant
mystérieux éblouissements
Les étincelles d’eau
jaillissent une immense rosée
la terre a trop pleuré
L’arbre mort
peut-il mourir encore
noyé?
Mais voici
la nuit retourne à la mer
4
Le citharède
Les fouilles silencieuses
m’entraînent
en scrutant mes désirs
Les pétales s’écaillent
et fuient le retour du feu
Le poison pèse la nuit
ruisselante de rires brumeux
La douceur abandonne l’aubier
Ô grave citharède!
1957
Illusions d’antan
(1957-1960)
1
Tristesse
Et rester suspendu
à ces fleurs d’antan
tout arrosé de pleurs
Le grand manteau noir
habille le soir puis se meurt
Longue nuit
qui se couvre
de cendres bleues
Et rester suspendu
à ces fleurs d’antan
tout imprégné de sang
2
Mes promenades
Mes promenades à travers champs
sont des balades de poètes
Le soir
je cours vers les pentes de sable
où fleurissent les violettes blanches
Les mantes bleues s’immobilisent
sous les feux du couchant
Je baisse les yeux
sur le miroir qui tombe
au fond de mes paupières
et je vois le ciel
étendre ses couleurs
je vois la terre
fleurir au bord du rêve
et se nourrir
du miel de l’été
je vois le blé du matin
se dorer au soleil fin
et le nénuphar
qui sommeille sur l’onde
Mes promenades à travers les champs
sont des balades de poètes
3
Souvenir
Mon âme
va cueillir le matin
au cœur de mon enfance
Te souviens-tu
ce brin de rosée
qui te ressemble
Mon âme
va loin du soir qui tombe
Passe là-bas
sur l’horizon lointain
ton étoile bergère
guidera ton navire sur la mer
Mon âme
songe aux couleurs du ciel
rivages
aux mille chemins
océans immobiles
où navigue la voile du vent
Tristesse, 1ère version
Le gibet
(1957)
Et rester suspendu
sur les fleurs tombales
délaissé de pleurs
Le long manteau noir bat le vent et se plaint
Ce long manteau va brûler
les corps fumants
Et rester suspendu
sur les fleurs tombales
délaissé de sang
1959
Les chimères
(1959-1960)
1
Fantasmes
Mes chimères sont lasses
fragiles mais séduisantes
Je veux vivre là-bas
dans la poussière des villes blondes
Je veux griser ma nuit
au fond des rivières profondes
glisser loin sur la mer
et boire son silence
Je veux dormir encore
au flanc des collines lointaines
et sentir à mes doigts
la tendresse du vent
Mes chimères sont lasses
fragiles mais séduisantes
Je goûte la fraîcheur du soir
et ma peau se vermeille
aux couleurs de l’automne
Je veux vivre là-bas
je veux griser ma nuit
je veux dormir encore
ivre de mes chimères
lasses
fragiles
mais séduisantes
2
Panorama d’été
Voyez l’oiseau dormir
souriant dans sa coquille bleue
et ses larmes claires
fragilité d’enfant
Voyez l’abeille sur le miroir
taire la mort douce
et le vent
sillonnant les vertes douleurs
Voyez-vous
bien tendrement j’espère
le soleil
3
Crépuscule d’automne
Le soir
boire le cristal
du matin qui s’éveille
et voir la nuit
s’enfuir sans bruit
comme la vie
J’écoute
et ne respire plus
Du bout des doigts
au-delà de la branche tombée
le printemps a vieilli
ce soir
4
Petite chimère
Une frange d’eau
rêve d’une fontaine
et meurt au soir
comme la voix de l’écho
L’écume émerge des flots
grisant les rivages
et la terre
dévoile sa puissance
Une frange d’eau
rêve d’une fontaine
et meurt au soir
comme la voix de l’écho
fleur d’argent qui mire
veinée de sang
quand elle pleure
5
Évasion
Le voyez-vous
là-bas
dans la brume
le bateau qui s’en va sur l’écume
Dans le cristal obscur
il s’enfonce
et lie sn marbre pur
à des ronces
Au murmure du vent
il s’endort
où s’évaporent les eaux
Et comme un rêve
il s’en va
6
Murmures
Mon rêve est suspendu
aux sanglots
qui tombent
sur les fleurs
Je vois les aurores se faner
puis s’éteindre
comme des parfums lumineux
Et la nuit
qui chancelle
émue de sentir
la douceur de l’étreinte
Parfois
le vent se gonfle si fort
qu’il déchire le ciel
et les nuages s’écroulent
comme des cheveux impuissants
C’est la fraîcheur des sons
qui s’envole
Et j’écoute
sans me lasser
les murmures de ma joie